Le dessus du panier

A la fin des années 1980, Daniel Vuillon n’en est pas là. A la ferme des Olivades, où sa famille est installée depuis 1804, il a succédé à son père qui s’était lancé dans la monoculture de l’artichaut. Il poursuit l’activité de maraîchage et assiste à la disparition des coopératives et des exploitations agricoles, à l’ouverture des frontières et à la concurrence espagnole, à l’implantation des grandes surfaces au détriment du commerce local et à la dégradation de l’environnement autour de sa ferme. «Nous nous retrouvions projetés de la campagne à la ville, confrontés à un cadre plus citadin que semi-rural.» Là où son père plantait des artichauts se dresse désormais un garage Volkswagen. Actif dans les organisations locales, professionnelles et syndicales, Daniel se dépense sans compter pourcommercialiser ses productions. Jusqu’à ouvrir un point de vente direct à la ferme. L’avenir reste incertain et les pressions sur le foncier permanentes.
L’été 1991, en pleine saison, Carrefour (à l’époque Continent) décide soudain d’arrêter les tomates de plein champs fournies sous contrat par les Olivades pour se consacrer uniquement aux tomates hors sols, calibrées, moins chères, importées toute l’année. Le coup est brutal mais, rétrospectivement, Daniel les en remercie : «Ils nous ont fait comprendre que, pour eux, nous devrions faire n’importe quoi. Alors on a décidé de faire systématiquement le contraire de ce qu’ils demandaient.» Daniel et Denise sont «entrés en biodiversité». Pour satisfairela demande, ils avaient déjà élargi leur offre légumière, rassemblant une collection de 180 courges, la première à usage commercial. Ils se passionnent pour la tomate qui se plaît dans le terroir local. Des liens se nouent avec des grands chefs – notamment Alain Ducasse, soucieux de la disparition des petits producteurs dans l’arrière-pays niçois et qui leur avoue : «Sans vous, je ne peux plus exercer mon métier.» Grâce à la variété et la qualité de leurs produits, les Olivades gagnent une petite notoriété, exportant en Grande-Bretagne, en Suisse, au Benelux. L’activité restait cependant saisonnière, du printemps jusqu’à la fin de l’été et chutait en automne et en hiver. L’entreprise demeurait dans une certaine précarité. Comment équilibrer le chiffre d’affaires sur toute l’année ?
LA SOLUTION VIENDRA DE NEW YORK, où Daniel et Denise rendent visite à leur fille Edith en 1999. Elle les introduit au sein des CSA (Community Supported Agriculture), des groupes de consommateurs militants qui ont le souci de leur propre santé et de l’écologie tout en préservant l’existence de producteurs locaux.»Nous sommes en CSA pour manger bio et local et nous voulons réagir aussi contre l’agro-bio-business qui nous vend à New York des salades bio transportées par avion de Floride ou de Californie», leur explique Kathy Lawrence, une des fondatrices des CSA et directrice de Just Food, la structure qui regroupe tous les CSA de New York. «Nous avons découvert un réel partenariat et, surtout, une véritable économie alternative pour l’agriculture locale», se souvient Denise. La crise de la vache folle n’a fait que renforcer leur détermination de transposer ce système dans leur point de vente des Olivades.
Après de multiples rencontres se constituera le premier groupe d’une trentaine de pionniers à Aubagne et la première distribution a lieu le 17 avril 2001. Pour 130 francs (20 €), le panier contenait : 1 botte de carottes, 10 courgettes, 2 bottes de radis, 3 salades (romaine, sucrine, batavia), 2 bottes d’herbes à couper(moutarde, mizuna), menthe, thym, 1 sac de feuilles d’épinards, 1 sac de fèves, 4 betteraves, 5 oranges amères, 1 barquette de fraises et 6 oeufs. La première AMAP était née. A l’automne, il y en avait deux de plus. Dix ans plus tard, elles fourmillent dans toute la France, et à Paris, on s’inscrit sur des listes d’attente.
Aux Olivades, on assure 180 paniers par semaine et lors de ma visite, la dernière livraison comprenait 1 sac de haricots plats, 1 concombre, 6 courgettes, 3 aubergines, 3 poivrons, 1 kg de pommes de terre, 1 sac de carottes, 1 sac d’oignons, menthe, ciboulette, persil, 2 sacs de tomates diverses (4 kg), 1 barquette de fraises (250 g), 9 brugnons, 10 abricots et 1 plateau de pêches. Du bio pour 25,90 €. Les paniers d’été sont toujours plus riches que ceux d’hiver et ceux du Sud plus ensoleillés que ceux du Nord, mais le succès est incontestable. Chez les amapiens producteurs comme chez les amapiens consommateurs. Tout irait bien aux Olivades si, une fois de plus, les rats des villes et de l’aménagement urbain ne tentaient de grignoter le maigre espace agricole qui subsiste. Daniel et Denise sauront se défendre et avec eux tous les amapiens.

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